Popof l’harceleur

Chaque jour, Popof guette l’arrivée de sa belle voisine avec impatience. Ce soir encore, dès qu’il l’aperçoit, caché derrière ses rideaux, il appuie son nez contre la vitre, plisse ses yeux et se dirige immédiatement vers la porte. Il ne raterait pour rien son entrée dans l’immeuble.

 

Habituée à son manège, Mélissa lance un regard furtif et anxieux vers la fenêtre du deuxième étage. Elle l’imagine déjà descendre les marches d’escaliers, claudiquant, en se cramponnant à la rampe. L’homme solitaire, a passé une partie de sa journée à fantasmer sur elle et à désespérer que cette fille n’est pas pour lui. Une frustration qui, depuis des semaines, le pousse aux railleries, aux insultes et aux remarques salaces.

 

Dans quelques minutes elle poussera la porte de l’immeuble et le trouvera planté dans l’entrée, avec sa gueule de naze mal rasé, son regard libidineux, ses vieilles savates et son marcel maculé qui moule son gros bide.

 

Et le harcèlement va recommencer !

 

Mélissa a déjà déposé plainte contre Monsieur Popof. En l’absence de preuves, le juge a classé le dossier. Il ne me reste plus qu’à savonner les escaliers pour que ce vieux dégueulasse se casse la gueule,se dit-elle à bout de nerfs.

 

—Bonsoir Monsieur Popof.

 

—Dégage poufiasse !

 

—C’est ça, je dégage, dit-elle, résignée.

 

D’habitude, elle a droit à des noms d’oiseaux, des propos racistes en raison de la couleur de sa peau ou encore des remarques surson physique. Ce soir, étonnamment, rien de tout ça. Rien qu’à  voir son regard glauque, cela ne présage rien de bon.

 

Sans chercher à décrypter ses grognements, elle grimpe les escaliers quatre à quatre et s’enferme chez elle à double tour.

Elle ouvre toute grande la fenêtre du salon, respire un bon coup et la referme aussitôt, prudente. Le vieux prétend que le bruit de la rue monte chez lui quand elle ouvre sa fenêtre ! La dernière fois qu’elle l’a laissée ouverte, sa réaction a été tellement démesurée qu’elle se serait crue dans un film d’horreur.

 

Un claquement de porte signale le retour de Popof chez lui.  Maintenant, le pervers est probablement en train d’enclencher son sonomètre pour mesurer les décibels au cas où elle déplacerait une chaise !

 

Mélissa va prendre une douche. Elle se savonne sous le jet d’eau chaude avec volupté et savoure ce moment tant attendu après une longue journée de travail.

 

Plaisir de brève durée. Oh ! La vache, il a coupé l’arrivée d’eau. Je vais le tuer ce con. Elle court vers la cuisine chercher une bouteille d’eau minérale pour se rincer. Patatras ! Elle dérape et se retrouve à terre. Elle se retient de crier… au cas où il aurait l’oreille collée au plancher.

 

Elle se relève aussitôt. Trop c’est trop ! Il faut réagir, mettre le vicieux hors d’état de nuire et pour longtemps. Quelque chose de foudroyant , pense-t-elle. Foudroyant ? Ce mot lui inspire illico « l’arme du crime ». Quelques clics sur Internet.La commande est enregistrée. Le colis arrivera dans trois jours, donc jeudi.

 

Jeudi soir, elle lit soigneusement le mode d’emploi et prépare son plan d’attaque fixé au lendemain soir. Cette nuit-là, pour la première fois depuis longtemps, elle dort paisiblement. Elle fait de beaux rêves dans un monde sans Popof.

 

Vendredi soir, à son retour, elle lève les yeux sur la fenêtre du premier étage. Quand le rideau ondule, elle sourit malicieusement, lui fait même un petit signe. Elle ralentit son pas, histoire de faire durer le plaisir. Elle serre son sac à main contre sa poitrine. Elle sent son cœur qui bat. L’excitation est à son comble.

 

Comme prévu, il est là, dans l’entrée, la dévisageant sans gêne de son œil vicelard.

 

Le dégoût lui monte à la gorge.

 

Elle s’approche de lui, le regard aguichant d’une séductrice. Ce soir, elle est particulièrement sexy dans sa robe rouge moulante, au décolleté vertigineux pour la circonstance. Le vieux n’en revient pas. Il reste bouche bée, carrément chamboulé. Hé, oui ! C’est que Melissa est une jeune et belle métisse, avec de magnifiques yeux noirs qu’il voit pour la première fois d’aussi près.

 

Et que dire de son une allure de déesse !

 

—Approche-toi (elle utilise volontairement le tutoiement), Viens Popof.

 

—… ? Sans voix, complètement hébété il s’avance vers elle.

 

—Je vais te faire une petite gâterie, ajoute-t-elle le regard malicieux.

 

Elle se penche, lui offrant une vue vertigineuse sur son décolleté.

Il reste là, planté devant elle, comme un nigaud, muet.

 

Lui aurait-elle déjà cloué le bec ?

 

Un coup d’œil à droite, un autre à gauche, elle s’assure qu’il n’y a personne en train de descendre les escaliers ni sur le point d’entrer dans l’immeuble. Elle plonge la main dans son sac, en sort rapidement le « taser » qu’elle avait commandé sur Internet, une véritable arme de self-défense, et lui envoie une décharge de plusieurs milliers de volts dans le ventre.

 

Popof tombe à terre.

 

Calmement, sans aucune émotion sur le visage, elle remet soigneusement l’arme du crime dans son sac à main.

 

—Sale con, t’as ce que tu mérites ! lui lance-t-elle méprisante.

 

À terre, paralysé, mort. Enfin, pour quelques minutes, peut-être plus, ça dépendra de sa résistance. Il faut maintenant qu’elle fasse quelque chose pour se disculper au cas où son cœur ne résisterait pas.

 

—Au secours ! au secours ! crie Melissa, feignant la panique.

 

La voisine du premier arrive en courant, alors que d’habitude elle reste derrière sa porte, sans jamais intervenir.

 

—Mon dieu, qu’est-ce qui arrive à ce brave M.Popof ? dit-elle en levant les bras au ciel, comme s’il n’était déjà plusde ce monde.

 

—Aucune idée, probablement un malaise…

 

—Appelez une ambulance, restez pas plantée là, ordonne la voisine.

 

Melissa, compose calmement le numéro des urgences sur son portable. Bien avant que l’ambulance n’arrive, Popof se réveille ébahit.

 

—Pauvre papi, s’inquiète la concierge qui vient d’arriver à son tour, suivie d’autres curieux, habituellement aux abonnés absents.

 

C’est vrai, pense Melissa, à le voir ainsi, il paraît incapable de nuire. Elle se penche sur lui. Il ouvre enfin grands ses yeux.Terrorisé, sur son visage blême plus la moindre forfanterie.

 

Doucement mais fermement, elle lui glisse à l’oreille :

 

—Popof, dorénavant, tu me fiches la paix ou je te bute pour de vrai !

 

Il cligne des yeux en signe d’acquiescement. Maintenant, il sait de quoi elle est capable.

Alors, Melissa s’éloigne lentement, monte les escaliers sans se retourner, pour retrouver, enfin, le calme et la tranquillité auxquels elle aspire depuis longtemps.

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